Le vent ce soir-là était presque inexistant, et ne caressait le visage de personne.
Un homme qui marchait tout droit depuis plusieurs années cessa soudainement de regarder devant lui. Il leva la tête du sol, et scruta les alentours. Cet homme de la ville, cet éternel égaré, était conscient que chacun, en ce moment même, préparait avec soin ses armes.
A peine la ville de Métropolis était née, que déjà on avait qu'une idée en tête dans les associations naissantes, un seul et unique but à atteindre : prendre le pouvoir.
Les habitants s'empressaient de s'aglutiner autours des principaux révolutionnaires du moment comme s'accumuleraient des microbes autours de plaies fraîchement ouvertes. Bientôt, ce serait l'hémorragie totale, les nuages noirs et la pluie de sang. Au sommet de l'Hotel de Ville, adossé au soleil, une hirondelle essayait de faire le printemps.
Dans le petit parc de Métropolis, seul dans son grand manteau, se promenait Octave, les bras dans le dos et la mine éteinte. Sa démarche était comme à son habitude, posée et solenelle. Tel un philosophe obscur, chaque seconde passée les yeux dans le vague faisait germer en lui de nouvelles lumières...
Sur un fond noir, il prit une idée simple. Un élément naïf. Il le comprima, le retourna dans tous les sens, l'élargit, le cassa, le déforma. A force de pliures, Octave a pu faire entrer à ses côtés un petit rouage. Il y mit le feu. La toile assistait à un ballet d'anthracite en feu. Une sècheresse programmée s'installa dans ce lieu hostile.
Après avoir fait l'addition de nombre de paramètres, il rajouta une pièce à cette machine qui attendait fébrilement de tourner.
Enfin, après des heures de reflexion, tout ce noir s'illumina, mais cette lumière n'était pas belle, elle était en fait la plus jaune et la plus aveuglante dont on puisse jamais rêver... Une laideur insupportable... Ce fut réellement indescriptible, comme une lumière sombre, sans espoir, sans clarté. Elle éclairait un colossal entrepôt.
Les engrenages s'écarquièrent, les mécanismes crièrent, puis ronflèrent au fur et à mesure qu'on les transperçait d'éclairs, les clefs et les pistons entamèrent une danse macabre, tandis que les tuyaux travaillèrent à véhiculer des fumées d'horreur.
D'immenses pièces à l'argent décoloré, dominantes, hautes de plusieurs mètres, cliquetèrent avec une lenteur calculée...
Dans tout cet opéra funèbre, le calcul imposait sa marque sévère.
La machine ouvrit des yeux huileux et cracha dans une volute de cendres un sifflement strident. A cet instant, la danse commença.
Quand enfin, toute poésie est morte, quand enfin l'humain à bout de souffle et sa machine n'ont plus qu'un seul coeur commun, et que ses battements scellent le dernier rivet d'une machine à mouvement perpétuelle, alors la grande parade peut commencer.
Des litres de plomb fondu font rougir les tuyaux, des tonnes de fonte font rugir les hauts fournaux, dont les feux infernaux font s'élever dans le ciel une âcre volute au halo malfaisant. En bas, la machinerie brûle d'inpatience de se faire maltraiter. L'humain, névrosé, prit d'un rire démoniaque, s'élança au coeur de sa créature, et plongea, longuement et tragiquement, comme un ange tomberait du ciel...
Plus personne n'était aux commandes. La machine, libérée du joug de son machiniste, décrèta l'anarchie destructive en son sein, et son cerveau chaotique se désolidarisa de son corps prit de convulsions incontrôlables...
Comme dotée dès lors d'un esprit que la vapeur aurait rendu malade, la mécanique tourna de plus en plus vite. Les frottement de l'acier sur l'acier arrachaient des hurlement de douleur au mastodonte, et toutes les pièces vibraient, tintaient, comme sous l'enchantement de déesses malfaisantes. Les bielles coulissaient au rythme saccadé des cames qui tombaient lourdement sous un piston rutilant. Enfin, comme acte final à cette tragédie industrielle, les tuyaux se déssoudèrent, les soufflets se mirent à fondre, les cuves laissèrent s'évader toute leur pression, les vis et les rivets furent expulsés tels des balles de fusils, rebondissant sur les murs de l'entrepôt, l'installation s'écroula, et le monstre difforme finit par s'abattre au sol dans un ultime grondement puissant. Fin de l'acte.
Octave avait des machines qui sans cesse, jour et nuit, tournaient dans sa tête, et jouaient des requiems.
Le vent ce soir-là était presque inexistant, et ne caressait le visage de personne.